Le temps d’un café...

Le temps d’un café...

En lisant les nouvelles de ces derniers jours, on apprend avec surprise qu’une nouvelle proposition concernant les cafés pourrait voir le jour. Cette dernière obligerait le client soit à renouveler sa consommation au bout d’une heure, soit à partir.


Il ne faut pas être devin pour voir que cette décision cible une frange particulière de la clientèle, nommément les petites bourses, les chômeurs et les SDF. Car, en effet, pour l’homme occupé cette décision ne change rien puisque le café n’est qu’une parenthèse dans sa journée. 
Mais pour les autres, ceux qui traînent d’un café à l’autre promenant leur solitude et leur déception, ils se verraient, par cette nouvelle réglementation, traqués dans leur dernier bastion, le café où ils allaient jusque-là trouver refuge du monde hostile, seuls ou en groupe, et fronder l’inconnu par la dérision, le jeu ou les communions silencieuses. 

Pour eux, les cafés sont justement des ‘’salles d’attente’’ – contrairement à ce que suggère M. Faouzi Hanafi. Certes, il s’agit souvent d’une attente désespérée et forcée, et qui dans la plupart des cas ne mène à rien, mais est-ce une raison pour commencer à chronométrer le temps que passe chaque client devant sa boisson ? Et puis n’oublions pas que le café est un lieu important de notre sociabilité, nous Méditerranéens qui aimons à nous installer sur une terrasse pour justement oublier le temps. Quel beau gâchis ! Si quelqu’un venait nous rappeler que nous venons de passer tel laps de temps et qu’il nous reste tel autre avant de recommander ou partir.

On pourrait certes voir cette nouvelle mesure comme une invite à trouver du travail ; mais ce faisant, on oublierait qu’une bonne partie des jeunes chômeurs le sont non pas par choix ou dilettantisme, mais faute de mieux. Alors vouloir les pousser hors du café, leur faire sentir qu’ils ne sont plus les bienvenus dans leur dernier lieu-refuge, serait non seulement absurde et contre-productif, mais également pourrait renforcer le ressentiment des laissés-pour-compte.

Cependant, il est peu probable qu’une telle politique aboutisse. D’abord parce que certains cafés des petites localités ou dans les quartiers populaires – et dont la clientèle est justement constituée de ces laissés-pour-compte – auraient du mal à forcer leurs habitués à une telle pratique, sous peine de les perdre et de devoir fermer tout à fait boutique. Ensuite, parce les cafés qui méprisent assez leurs clients pour leur faire savoir qu’il est temps de partir à moins de faire sonner de nouveau la monnaie, n’ont pas attendu cette nouvelle réglementation pour s’exécuter. Il y a en effet le reçu posé sèchement sur la table, le serveur qui se pose en parasol au-dessus de votre épaule, ou encore le prétexte de la ‘’caisse qui va bientôt fermer’’, enfin tout un éventail de méthodes pour signifier qu’il est temps de déguerpir. Il faut reconnaître néanmoins que le cafetier qui prend la peine de trouver un prétexte au client (comme la caisse qui va bientôt fermer), fait montre d’une certaine délicatesse, et on ne saurait lui tenir rigueur.

Finalement, si les préoccupations des cafetiers sont légitimes, la méthode reste à revoir. Chasser le client n’est certainement pas la meilleure des idées. Les temps sont durs pour tout le monde, peut-être davantage pour la personne qui s’attarde involontairement au café. La chasser permettrait éventuellement d’étoffer la recette, mais certainement ferait perdre une partie de notre humanité, de ce qui fait de nous un peuple chaleureux et hospitalier. Dans la nouvelle Tunisie, il est indispensable que nous soyons solidaires, au café comme ailleurs, et c’est le devoir du mieux loti que de penser à son parent pauvre, du moins être patient avec lui.